Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 63 – NOUVELLE TENTATIVE

Thanatonautes  Bonjour et bienvenue sur le blog des Thanatonautes, bonne lecture...

Table des matières

mardi 27 janvier 2015

63 – NOUVELLE TENTATIVE

prière : « Réveille-toi, je t’en prie, réveille-toi. »
Nous entreprîmes les manipulations réanimatoires, scrutant vaguement l’électrocardiogramme et l’électro-encéphalogramme.

- Réveille-toi, réveille-toi ! psalmodiait Raoul.

Machinalement, j’accomplissais tous les gestes d’usage.
Il fallut un grand cri pour me sortir de ma torpeur.

- Il a bougé un doigt ! hurlait Raoul. Reculez, reculez-vous tous ! Il a bougé !

Je ne voulais pas me faire d’illusions, mais je reculai.
Tout à coup, l’électrocardiogramme couina. Un petit ping timide, d’abord. Puis un ping, ping. Enfin un ping, ping, ping résolu. Le doigt rebougea. Puis tous les doigts.
Sur le fauteuil, après la main, c’était le bras, puis l’épaule qui remuaient. Pourvu que nous n’ayons pas encore affaire à un dément. En prévision d’une nouvelle mésaventure de ce genre, je portais en permanence dans ma poche une petite matraque en caoutchouc.
Les cils vibrèrent. Les yeux s’ouvrirent. La bouche se tordit en une grimace qui se transforma en un sourire. Ping, ping, ping, le cerveau et le cœur avaient retrouvé leur rythme normal.
Notre cobaye ne semblait ni légume ni dément.
Et il était sain et sauf. Le thanatonaute avait regagné le thanatodrome sain et sauf !

- Yaaaaaaaaahouuuuuuuuhhhhhhk ! On a ré-u-ssi ! rugit Raoul.

Le hangar résonna de cris de joie. Amandine, Raoul et moi nous étreignîmes avec frénésie.
Naturellement, Raoul se ressaisit le premier :

- Alors, c’était comment ? demanda-t-il en se penchant vers Félix.

Nous guettions avec avidité le premier mot qui allait surgir de notre voyageur extraordinaire. Quel que soit ce mot, il entrerait probablement dans les manuels d’histoire, celui du premier homme ayant réussi un aller-retour au pays des morts.
Tout à coup, le plus grand silence régna dans la pièce. Nous avions tellement attendu ce moment. Jusque-là on avait toujours échoué, et c’était cet énergumène aux allures de pithécanthrope qui détenait les réponses dont le monde rêvait depuis toujours.
Il ouvrit la bouche. Il allait parler. Non, il referma les lèvres. Puis sa bouche se rouvrit pour une deuxième tentative d’émission. Il cligna des yeux. Une voix rauque articula péniblement :

- Ah… putain.

Nous le fixions avec surprise. Il se massa le front.

- Wouah, putain, le truc !

Puis il nous dévisagea, comme s’il était étonné qu’on lui accorde autant d’attention.

- Alors j’les ai, mes quatre-vingts ans de remise de peine ?

Nous aurions volontiers secoué notre patient pour le féliciter mais nous comprîmes qu’il fallait lui laisser le temps de reprendre ses esprits. Raoul insista quand même :

- C’était comment ?

L’homme se frotta les poignets, cligna des yeux.

- Ben, comment vous dire ? J’suis sorti de ma barbaque. Au début, ça m’a filé les jetons. J’étais comme un p’tit zosieau. Putain ! J’ai volé hors de mon corps… Je suis monté là-haut avec tous les macchabées frais du jour. Y en a qui avaient de ces tronches ! On a volé comme ça un moment, et puis on est arrivés dans un grand anneau de lumière. Ça ressemblait à ces cerceaux de feu dans lesquels on fait sauter les tigres, comme au cirque Pinder à la télé.

Il reprit son souffle. Nous écoutions avidement chaque mot qui sortait de sa bouche. Ravi de tant d’attention, il continua :

- C’était pas croyable. Dans le milieu, y avait comme une lampe de poche. Un cercle de néon avec une lumière au milieu, et cette lumière, c’était comme si elle me causait. Elle me disait de venir, de m’approcher. Alors j’suis venu, j’suis entré dans le cercle de feu comme un tigre de cirque. J’ai approché la lumière de la lampe de poche…


Raoul ne put s’empêcher de couper :

- Donc un cercle de feu et une lumière au centre ?


- C’est ça. Comme une cible. J’sais pas si j’vous ai dit que ça parlait directement à mon cerveau. Ça me disait d’avancer encore. Que tout allait bien.


- Et vous avez avancé ? s’enquit Amandine, passionnée.


- Ben oui. J’ai vu alors comme une sorte de cône ou d’entonnoir avec des choses qui tournaient.


- Quelles choses ?

- Ben, des trucs, quoi ! Des étoiles, des vapeurs, des giclées de trucs bizarres qui tourbillonnaient pour former ce fichu entonnoir grand comme une centaine de maisons empilées.

Raoul tapa son poing droit contre sa paume gauche

- Le continent des morts ! s’exclama-t-il. Il a vu le continent des morts !

- Continuez, je vous en prie, suppliai-je.

- Ben, j’ai encore avancé et plus j’avançais, plus cette lumière me turlupinait au point que j’ai eu l’impression que je ne pourrais jamais plus faire demi-tour. On aurait eu bonne mine, moi et ma réduction de peine ! Et la lumière qui serinait dans ma tête que cela n’avait plus d’importance, que tout en bas n’était que futilité et connerie… Ah ! ça, elle parlait bien. En plus, on se serait cru dans une caverne d’Ali Baba, pleine de trésors, enfin pas de l’or et de l’argent, mais remplie de sensations agréables. C’était bon et chaud et sucré et doux. Comme si j’avais retrouvé ma maman. Z’avez pas un verre d’eau ? J’ai la bouche toute sèche.

Amandine alla quérir un gobelet. Il le vida d’un trait avant de reprendre :

- J’pouvais pas faire autrement que d’avancer, putain ! Mais là, j’ai vu comme une espèce de mur transparent. Pas un mur de briques, plutôt un mur de peau de fesse. Comme de la gélatine. J’ai même pensé : je suis dans un trou du cul translucide. J’ai compris que ça devenait casse-gueule. Si je traversais le mur, je ne pourrais plus jamais revenir et adieu, mes quatre-vingts ans de réduc. J’ai mis les freins.

Ce type était donc arrivé à résoudre mon problème de « choix ». Il avait trouvé des raisons de rester vivant. Je n’en revenais pas.
Lui soupirait :

- C’était pas facile, savez. L’a fallu que je prenne vachement sur moi pour faire demi-tour avec mon âme. Et puis, au bout d’un moment, y a eu une sorte de longue ficelle blanche argentée qui m’a ramené d’un coup ici et j’ai rouvert mes mirettes.

Ce fut comme si c’étaient nous trois, Raoul, Amandine et moi, qui avions visité le septième ciel. Ainsi, tous ces sacrifices n’avaient pas été vains. Nos efforts portaient enfin leurs fruits. Un homme avait franchi la barrière de la mort et il était revenu pour nous décrire l’au-delà. Et qu’y avait-il plus loin encore que ce monde lumineux et immatériel ?
Après l’eau fraîche, Félix réclama une rasade de rhum. Amandine se précipita de nouveau.
Je m’excitai :

- Il faut organiser une conférence de presse. Les gens doivent savoir…


Raoul me calma prestement.


- Trop tôt, dit-il. Pour l’heure, notre projet doit demeurer ce qu’il est : top secret.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire