Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 58 – TOUJOURS RIEN

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lundi 26 janvier 2015

58 – TOUJOURS RIEN

Le jeudi 25 août, le ministre de la Recherche nous rendit visite incognito dans notre thanatodrome de Fleury-Mérogis. Benoît Mercassier tenait à assister en personne à un « décollage ». Il présentait le visage soucieux d’un homme qui se demande s’il n’est pas en train de commettre la sottise du siècle. Auquel cas, était-il encore temps de sauver les meubles avant une inévitable interpellation à la Chambre ?
Il me serra la main, me félicita sans réelle conviction et, surtout, encouragea les cinq thanatonautes de la nouvelle équipe. Il interrogea discrètement Raoul sur le nombre de nos échecs et sursauta quand celui-ci lui glissa le chiffre à l’oreille.
Il revint alors vers moi et m’entraîna à l’écart, dans un coin de la pièce :

- Peut-être que vos boosters sont trop toxiques ?


- Non. Moi aussi, j’ai cru ça d’abord. Mais le problème n’est pas là.


- Où est-il donc ?


- Eh bien, après tant d’expériences, j’ai maintenant l’impression qu’une fois dans le coma, ils sont placés devant, comment dire, devant un… choix. Partir ou revenir. Et ils préfèrent tous s’en aller. Mercassier plissa le front.


- En ce cas, vous ne pouvez pas les récupérer de force, avec des décharges électriques plus puissantes, par exemple ? Vous savez, ils n’ont pas pris de gants pour ramener le président Lucinder ici-bas. Ils lui ont carrément planté des électrodes dans le cœur !

Je réfléchis. Nous discutions entre scientifiques qui se portent une estime mutuelle. Je pesai mes mots.

- Ce n’est pas si simple. Il faudrait pouvoir déterminer le moment exact où ils sont « assez partis » mais pas encore « trop partis ». C’est aussi un problème de timing. Ces types ont eu de la chance avec Lucinder, ils ont dû le ramener juste à l’infime seconde où tout était encore possible. Sûrement un pur hasard.

Le ministre chercha à se montrer intelligent dans un domaine où, au fond, il ne connaissait pas grand-chose.
Tentez quand même d’augmenter le voltage, de diminuer la quantité de narcotique, d’abaisser la dose de chlorure de potassium. De les réveiller plus tôt, peut-être.
Nous avions déjà tout essayé, mais je hochai la tête comme s’il venait enfin de me révéler la recette miracle. Je ne voulais pourtant pas le tromper, aussi j’ajoutai :

- Il faudrait qu’ils choisissent volontairement de revenir lorsqu’ils en ont encore la possibilité. J’y ai beaucoup pensé, vous savez. Nous ignorons tout de ce qui les pousse à continuer sur le chemin de la mort. Qu’est-ce qu’on leur offre, là-haut ? Si on connaissait la carotte, on saurait en proposer de plus attirante !


- Vos thanatonautes me rappellent ces marins du XVIe siècle qui préféraient rester sur les îles paradisiaques du Pacifique, avec des femmes superbes et des fruits parfumés, plutôt que de regagner péniblement leur Europe natale !

Il était vrai que la situation présentait bien des points communs avec les révoltés du Bounty par exemple. Nos thanatonautes étaient des repris de justice comme les marins de l’époque et tout aussi avides qu’eux de s’évader vers de nouvelles contrées.

- Comment retenir un mort ? s’interrogeait Mercassier. Qu’est-ce qui pousse les gens à se battre, les malades à souhaiter leur guérison ?


- Le goût du bonheur, soupirai-je.


- Oui, mais qu’est-ce qui rend heureux ? Comment influencer vos gens quand ils seront confrontés au dilemme « partir ou revenir » ? Les motivations sont si diverses !

J’avais déjà constaté, à l’hôpital, que la volonté humaine intervenait pour une bonne part dans les cas de guérison spontanée. Certains refusaient tout simplement de mourir et ils parvenaient à rester en vie. Dans une étude sur la communauté chinoise de Los Angeles, j’avais lu que le taux de mortalité chutait à pratiquement zéro le jour de leur fête du Nouvel An1. Vieillards et moribonds se programmaient pour rester en vie et profiter encore de ce jour-là. Le lendemain, le nombre des morts redevenait normal.
    Les capacités de la pensée humaine sont infinies. Moi-même, je m’étais amusé à développer un peu les possibilités de mon cerveau en le programmant pour qu’il m’ouvre les yeux à huit heures, sans user d’un réveil. Ça marchait à tous les coups. Je savais aussi que j’avais stocké des quantités d’informations dans les méandres de mon cerveau et que je n’avais qu’à ouvrir des tiroirs dans mon crâne pour en disposer. Il y aurait certainement des recherches passionnantes à effectuer sur l’autoprogrammation de son propre système nerveux.
Alors, pourquoi ne pas revenir du coma de par sa seule volonté ?
Le thanatonaute du jour, en tout cas, n’opta pas pour le retour. Effrayés par ses mouvements convulsifs au moment de son trépas, ses quatre compagnons renoncèrent à l’unisson. Nous décidâmes de ne désormais plus compter sur les effets de l’émulation de groupe. Désormais, nos pionniers décolleraient un par un et en notre seule présence. Mais peut-être était-il déjà trop tard. Même à Fleury-Mérogis, il nous devenait de plus en plus difficile de recruter des volontaires.

1 - Mais les décés liés aux festivités tend généralement à compenser ce phénomène. Exemple: http://lainfo.es/fr/2015/01/01/35-personnes-meurent-celebrations-du-nouvel-an-en-chine/

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