Je regagnai mon
appartement passablement secoué. Seul chez moi, je hurlai comme
hurlent les coyotes les soirs de pleine lune, sans parvenir pour
autant à me délivrer du stress provoqué par la mort de Marcellin.
Que faire ? Poursuivre était mal, abandonner le prochain
thanatonaute était mal aussi. Alors, je hurlai. Des voisins tapèrent
avec des balais contre mes murs. Ils obtinrent le résultat escompté.
Je me tus mais ne me calmai pas pour autant.
J’étais
déchiré. J’étais incapable de renoncer à revoir Amandine. Je
n’avais plus envie d’expédier encore des gens dans le coma. Les
idées de Raoul me fascinaient. Je refusais d’avoir d’autres
cadavres sur la conscience. Je ne voulais plus vivre dans une
éternelle solitude. Retourner à la routine de mon travail à
l’hôpital me rebutait. Raoul avait raison au moins sur un point :
son projet était peut-être terrible, mais quelle aventure grandiose
!
Lui était fou et
obsédé par le suicide de son père. Mais Amandine, qu’est-ce qui
avait pu pousser une créature aussi ravissante à s’embarquer dans
cette galère ? Peut-être était-elle elle aussi convaincue d’être
une pionnière d’un monde nouveau. Raoul avait tellement de bagout.
J’avalai petit
verre de porto blanc sur petit verre de porto blanc jusqu’à en
être saoul. Je cherchai à m’endormir en lisant un roman. Une fois
de plus, j’étais seul dans mon lit et, par-dessus le marché, avec
un mort sur la conscience. Mes draps étaient aussi glacés qu’une
couverture réfrigérante.
En prenant mon
petit crème le lendemain matin, au bistrot du coin, je songeais que
c’était peut-être un excès de chlorure de potassium qui avait
provoqué le décès de Marcellin. Le produit était hautement
toxique, il fallait en réduire la dose.
À moins que ce ne
soit un problème d’anesthésiant.
Normalement, nous
utilisons trois sortes d’anesthésiant. Les narcotiques, les
morphiniques et les curares. J’avais préféré les narcotiques par
habitude. Mais pour une « bonne mort », mieux valait un curare.
Hum. Non. Je
continuerais avec un narcotique.
Peu à peu, je ne
fus plus obnubilé que par des problèmes techniques. Mes réflexes
professionnels se déclenchèrent automatiquement. Mes cours de
chimie me revinrent en mémoire.
Hum. J’aurais
peut-être dû utiliser du Propofol,
me dis-je. C’est un nouveau narcotique, avec un meilleur
réveil. Normalement, le réveil s’effectue en cinq minutes et
s’avère très clair… Non, le Propofol interagira sûrement mal
avec le chlorure. Donc autant conserver le
thiopental.
Mais en quelle quantité ? Habituellement, il faut compter
cinq milligrammes par kilo. Cinq milligrammes dose minimale, dix
milligrammes dose maximale. J’ai donné 850 milligrammes à
Marcellin qui pesait 85 kilos. Il faudrait peut-être abaisser la
dose…
À 14 heures,
j’appelai Raoul. À 16 heures, nous étions tous de nouveau réunis
dans notre thanatodrome de Fleury-Mérogis. Comme d’habitude, les
détenus nous avaient copieusement insultés au passage. À eux,
inutile de leur faire croire que Marcellin s’était volontairement
suicidé. Le directeur du pénitencier nous croisa sans nous saluer,
évitant même de nous regarder.
En revanche, Hugues
nous accueillit avec gentillesse.
- Ne vous inquiétez pas, docteur, on va y arriver !
Ce n’était pas
pour moi que je m’inquiétais, c’était plutôt pour lui…
Je diminuai mes
doses. 600 milligrammes pour Hugues qui pesait 80 kilos. Cela devrait
suffire.
Raoul consignait la
moindre de mes manipulations. Je suppose qu’il voulait être à
même de les reproduire au cas où je déciderais pour de bon de
l’abandonner.
Amandine tendit un
verre d’eau fraîche à Hugues.
- Le verre du condamné ? Ironisa-t-il.
- Non, répondit-elle avec sérieux.
Le thanatonaute prit
place sur le fauteuil de dentiste. On procéda aux formalités : mise
en place des capteurs, prise de pouls, prise de température,
couverture réfrigérante.
- Prêt ?
- Prêt.
- Prête ! renchérit Amandine en branchant la caméra vidéo.
Hugues marmonna une
prière. Puis il fit un grand signe de croix et prononça à toute
vitesse comme pour s’en débarrasser :
- Six, quatre, cinq, trois, deux, un, décollage !
Il fit la grimace
comme s’il avalait une pilule amère et pressa l’interrupteur.
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