Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 264 – APATHIE

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samedi 31 janvier 2015

264 – APATHIE

Était-il vraiment possible que toute notre aventure n’ait servi qu’à cela : rendre l’humanité complètement apathique, fataliste et démotivée ?
Dans ce cas, j’avais accompli un fantastique péché et j’aurais besoin d’une quantité de réincarnations pour réparer cette erreur funeste. Je n’en pouvais plus d’enjamber dans la rue des gens allongés tranquillement à attendre que leur existence présente s’écoule. Ce n’était même plus du fatalisme, c’était du renoncement à la vie !
En me souvenant du gamin indifférent à tout, j’éprouvais des frissons.
Au thanatodrome des Buttes-Chaumont, l’ambiance n’était guère plus réjouissante. Rose, Freddy junior et moi nous refermions de plus en plus sur notre cellule familiale tandis qu’Amandine poursuivait ses tournées de conférences.
Quant à Raoul, avec la perte de Stefania, sa femme, succédant à celle de ses parents, il avait trouvé une nouvelle bonne raison de boire. Il semblait rechercher dans l’alcool comme un troisième monde, un monde par-delà la vie et la mort. Peut-être qu’après tout l’alcool est au bout de toutes les quêtes. Dans ce cas, autant s’être fâché assez tôt avec Raoul pour ne pas me laisser entraîner sur cette pente.
Un soir, je restai à écouter du jazz dans le penthouse. J’appréciais tout particulièrement un solo plaintif et triste au saxophone, le genre de musique que personne n’écoutait plus.
De retour d’un de ses shows, Amandine me rejoignit. Je la regardai à peine. Ecartant une plante verte, elle se laissa tomber sur un fauteuil d’osier près de moi.

- Tu es fatigué ? me demanda-t-elle.


- Non. J’ai la maladie des états d’âme.


- Des états d’âme ? Qui n’en a pas ?

Allumant une des cigarettes biddies dont Raoul laissait toujours traîner des paquets partout, elle ajouta :

- Tu te souviens de ce que disait Freddy ? « Les sages cherchent la vérité, les imbéciles l’ont déjà trouvée. » Et voilà que le monde entier a trouvé sa vérité.


- Alors, le monde entier est bête.


- Oui, mais c’est notre faute.

Je me tus, bourré de remords. Je repensais à ce jour où j’avais demandé à ma mère ce que signifiait le mot « mort ». Je revoyais la main glacée de mon arrière-grand-mère Aglaé pendant hors des draps. Je revoyais aussi l’image étonnante, gravée à jamais dans mon esprit, de ces trois archanges lumineux réunis là-haut pour nous juger.
En fait, ils ne sont pas bienveillants. Ils sont terrifiants. Malgré leur sourire. Je commençais à comprendre Stefania. La bonté imposée, c’est aussi écœurant que la soupe de marshmallows au miel et au sirop de grenadine.
Rose apparut dans le penthouse en claquant des mains.

- Si vous avez faim, dépêchez-vous de descendre. Le repas est prêt et Junior est déjà en train de tout dévorer. Il ne restera bientôt plus que des miettes.

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