La vie n’était
qu’un passage. Bon gré mal gré, au fur et à mesure que la
connaissance du Continent Ultime se répandait ici-bas, l’idée
faisait son chemin parmi les populations humaines. Il y avait
d’autres vies avant, il y en aurait d’autres après, l’âme
survivait au corps. Si le Paradis n’était pas palpable, il n’en
possédait pas moins sa place géographiquement précise dans
l’Univers : le trou noir situé au centre de notre galaxie. À peu
près tout un chacun savait maintenant qu’il y avait un continent «
spatial » formé de sept ciels et que, dans le dernier, résidaient
des anges, capables de résoudre tous les problèmes.
Le premier à pâtir
de ces révélations fut notre président Lucinder.
On n’était
plus qu’à un mois des élections quand un de ses rivaux, un
certain Richard Picpus, affirma être monté au Paradis et y avoir
appris d’un ange qu’il était la réincarnation de Jules César.
- Quel ange ? exigea de savoir Lucinder au cours d’un débat public.
- Mumiah, celui qui aide à la réussite de nos entreprises, bien sûr, rétorqua l’autre sans se démonter.
Lucinder, pour qui
Jules César constituait un modèle et qui connaissait donc sa vie
par cœur, chercha vainement à le piéger. Devant les journalistes
ébahis, Picpus décrivit en détail le forum de la Rome antique et
les problèmes de santé du vainqueur de Vercingétorix.
Même Lucinder en fut abasourdi.
Mythomanie, ou
mémoire encyclopédique, après Picpus-Jules César, se portèrent
candidats Robert Mollin qui assurait réincarner Napoléon Bonaparte
et Philippe Pilou qui jurait être Alexandre
le Grand. Mais nous savions les anges peu bavards et doutions de
la véracité des affirmations de cette pléthore de nouveaux
prétendants.
Lucinder
pouvait se prévaloir d’être le premier chef d’État à avoir
défloré le Paradis, César, Napoléon et Alexandre n’en avaient
pas moins bâti de prestigieux empires. Chacun s’affirmait apte non
seulement à redonner à la France un rayonnement international mais
aussi à conquérir définitivement le Continent Ultime.
Quel piège !
Lucinder avait trouvé plus « paradisant » que lui. Il nous réunit
aussitôt pour chercher ensemble comment le tirer de là. Si ces
pseudo-César, Napoléon et autres Alexandre convainquaient les
électeurs, les batailles reprendraient et la galaxie redeviendrait
vite incontrôlable !
Ce fut Rose qui
suggéra d’avoir recours aux historiens. Après tout, ces hommes
illustres n’avaient pas eu des vies exemplaires ! Ç’avaient été
des fornicateurs et des tyrans, oui ! Ils avaient dévasté des
continents entiers et provoqué des morts innombrables. Nous
ressortîmes les vieux dossiers. Jules César et ses guerres civiles
sonnèrent le glas de la République romaine, Napoléon fut le
fossoyeur de la Révolution française et ses conflits inutiles
ensanglantèrent l’Europe, Alexandre le Grand avait des mœurs
douteuses et son fameux empire n’avait duré que le temps de sa
courte vie…
Des personnages
bizarres nous apportèrent un soutien inattendu. Un avatar de
Vercingétorix rappela à la télévision comment César n’avait
pas hésité à affamer les populations pendant
le siège d’Alésia. Pendant une heure, il raconta les horreurs
de la guerre gallo-romaine. Or, dans ce conflit, les victimes
gauloises avaient été les ancêtres des électeurs d’aujourd’hui.
Une inespérée
réincarnation de Joséphine répandit dans la presse féminine des
ragots sur les coucheries adultères de l’Empereur. Elle souligna
les massacres de la guerre d’Espagne, la débâcle de la campagne
de Russie, l’erreur de Waterloo morne plaine.
Alexandre
le Grand s’en tira mieux parce qu’il n’y avait que les
spécialistes de l’Antiquité à bien connaître les détails
scabreux de son existence. Il y eut quand même quelques jolis récits
de massacres et d’orgies.
Face à ce
déferlement, Lucinder conserva le plus grand silence sur ses vies
antérieures. Son présent seul suffirait à plaider en sa faveur,
déclara-t-il, et son présent seul déterminerait son avenir. Comme
la grande majorité des électeurs n’avait jamais approché d’anges
de près ou de loin et était bien incapable de se targuer de quelque
existence illustre, on approuva sa discrétion. Son attitude fut
d’autant plus appréciée que nul n’ignorait que c’était sur
les actes commis dans cette vie-ci qu’on serait jugé plus tard. Il
n’y avait pas de quoi se vanter de n’être que Picpus après
avoir été César !
N’empêche,
Alexandre
le Grand et son visage, d’ange plaisaient aux foules. Il était
fier, imbu de lui-même, prétentieux, qu’importe il plaisait. Une
semaine avant les élections, les sondages lui accordaient 34 % des
intentions de vote, nous étions loin derrière avec 24 %. Jules
César et Napoléon étaient en queue de peloton avec respectivement
13 et 9 %.
- Il nous faudrait un miracle de dernière minute ! soupira le candidat Lucinder.
- J’ai une idée, murmura rêveusement Amandine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire