Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 248 – UNE AUTRE SOCIÉTÉ

Thanatonautes  Bonjour et bienvenue sur le blog des Thanatonautes, bonne lecture...

Table des matières

samedi 31 janvier 2015

248 – UNE AUTRE SOCIÉTÉ

La découverte du septième ciel apportait chaque jour de nouveaux changements. Les temples étaient désertés. Pourquoi participer à des cérémonies religieuses puisque le mystère de la mort s’était évaporé ? Même les prêtres perdaient la foi. Les principaux prélats avaient beau clamer, toutes religions confondues, que si nous avions découvert les anges, nous n’avions pas pour autant trouvé Dieu, c’en était fini de la dévotion et du mysticisme.
Des temples furent transformés en musées, d’autres en théâtres, d’autres encore en maisons particulières. Le fin du fin était de se construire une piscine dans une église.
Les reflets multicolores des vitraux se réverbéraient dans l’eau et une musique d’orgue résonnait au moment des plongeons.
Cependant, au fur et à mesure que les religions périclitaient, la thanatonautique se développait. Les thanatodromes privés éclosaient un peu partout comme des champignons. Certains étaient de véritables offices de tourisme : « Week-end dans l’au-delà. Visite guidée. Formation spirituelle accélérée. Boosters fournis. Accompagnement par moine diplômé de thanatonautique. Rencontre possible avec les anges. »
Évidemment, la plupart de ces publicités étaient mensongères. Les excursions s’arrêtaient généralement à la troisième ou quatrième zone. Nous avions payé assez cher pour savoir comme il était dangereux de s’aventurer plus loin.
Raoul avait peut-être renoncé à retrouver sa mère mais il n’en restait pas moins éthylique et amer. Après le coup de Nadine, ça m’était égal et je n’avais plus envie de m’occuper de lui.
Au thanatodrome, les femmes prenaient le relais. Amandine et Rose (avec laquelle je m’étais vite réconcilié) étaient en pleine forme tandis que Raoul et moi faisions figure de guerriers las et désabusés. Elles prenaient plaisir à élever Freddy junior, devenu la mascotte du lieu. Il faut dire que le gamin était rieur, curieux de tout et facile à vivre. Peut-être qu’au fond les enfants sont de grands sages et que seule l’usure de la vie rend les adultes déraisonnables ?
S’il n’était pas la réincarnation de Freddy senior, Freddy junior était sûrement celle d’un joyeux luron plutôt sportif, étant donné sa propension à courir partout dans tous les coins.
Amandine le rattrapait pour un câlin. « Papa », « Maman », « pipi », « caca » étaient les quatre mots qu’il aimait aligner successivement. Plus tard, il lui faudrait une bonne psychanalyse pour lui apprendre à séparer ces quatre notions distinctement.
Avec mon fils, la vie continuait. L’humanité évoluait. Mes gènes se perpétuaient dans le noyau de ses cellules.

- Encore à jouer avec ce gosse ! ricanait Conrad. Il doit en avoir par-dessus la tête de toi, Papa-pot-de-colle ! Moi, mes mômes, je leur fiche la paix.

- Papa-pipi ? demanda à brûle-pourpoint Junior.

Mon frère éclata de rire et lui répondit :

- Non : papa-caca.

Je soupçonnais Conrad d’être un mauvais pédagogue.
Mon frère avait monté une entreprise de thanatonautique. Il bâtissait des thanatodromes n’importe où dans le monde, à la demande. En promoteur avisé, il innova en dotant, au gré des clients, ses salles de décollage d’un décor mythologique ou mystique. Avec lui, on pouvait s’envoler depuis une réplique de la pyramide de Kheops ou d’une copie de la chapelle Sixtine. Aux moins fortunés, il proposait des thanatodromes individuels, des huttes de bois semblables à des saunas mais nanties de tous les appareillages nécessaires pour réussir son décollage. En option, pour un prix forfaitaire de deux cent mille francs, il fournissait système de sonorisation et uniforme de thanatonaute identique aux nôtres.
Les affaires de ma mère étaient aussi en plein boom. Elle avait ouvert une maison d’édition pour publier les œuvres complètes d’Amandine Ballus : Le Vademecum du mourant, Quelques idées pour un week-end au Paradis, La Thanatonautique en dix leçons, Asthmatiques, cardiaques et épileptiques : quelques précautions à prendre avant de mourir…
Tous étaient des best-sellers, pourtant la concurrence était rude. Les manuels pratiques de thanatonautique, tous comme les récits-témoignages, faisaient florès.
S’envoler était désormais à la portée de tous. Quant à ceux qui n’avaient pas les moyens de s’acheter tout le bric-à-brac de Conrad, ils pouvaient toujours quitter leur corps en méditant !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire