Le monde devint
progressivement plus gentil. Plus question de souiller son karma par
de mauvaises actions, on risquerait de se retrouver crève-la-faim en
Afrique, sans-abri à New York ou RMiste à Paris.
Aucun ouvrage de
science-fiction n’aurait osé imaginer une réalité aussi suave.
Partout la gentillesse gagnait du terrain, telle une maladie
contagieuse.
Les bonnes œuvres
croulaient sous les dons. Il fallait faire la queue de longues heures
pour y déposer son chèque ou ses meilleurs vêtements. Les hôpitaux
débordés ouvrirent des listes d’attente pour satisfaire les
innombrables donneurs de sang en puissance.
À travers le monde,
des conflits endémiques s’éteignirent d’eux-mêmes,
contraignant des marchands d’armes ravis à fermer leur commerce
générateur de malus. Tout ce qui, de près ou de loin, risquait
d’être considéré comme une mauvaise action était désormais
voué au mépris général. Les toxicomanes se retrouvèrent en panne
de dealers. Sur simple demande, les banquiers accordaient des crédits
au taux le plus bas. Ils ne s’informaient plus des capacités de
remboursement de leurs clients. Une faillite pour générosité leur
vaudrait assurément une promotion dans l’au-delà.
Les bonnes âmes
affluaient devant les sébiles des mendiants. Ces derniers se
dotèrent de machines acceptant les cartes de crédit et
n’acceptèrent plus les chèques que sur présentation d’une
pièce d’identité.
Plus besoin de
verrouiller les portes, obsolètes les systèmes d’alarme. On
pouvait dorénavant laisser grandes ouvertes les issues des
appartements, des voitures, des coffres-forts. Voler ! Nul n’y
songeait plus.
Plus
de mesquineries, plus de cambriolages, plus d’altercations, plus de
rixes, plus de violences. En revanche, le commerce florissait. Ne
voulant pas pécher par avarice, tout le monde multipliait les
cadeaux à tout le monde. Dès qu’un aveugle paraissait désireux
de traverser une rue, des dizaines de bras se tendaient et beaucoup
de personnes frappées de cécité se retrouvèrent ainsi sans le
vouloir perdues sur des trottoirs opposés.
Le tiers monde
reçut des subsides considérables. Si on était recalé à l’examen
et contraint de se réincarner dans un pays pauvre, autant s’assurer
qu’il se serait enrichi entre-temps et que sa prochaine vie y
serait plus confortable. Il était de l’intérêt général que
diminue considérablement le nombre de mauvais foyers où renaître.
Les gens affichaient
des sourires plus ou moins forcés, évitant de mécontenter leur
prochain par des sourcils froncés, une grimace ou une mauvaise
parole.
Chacun avait dûment
enregistré les règles : le cycle des réincarnations se poursuivait
indéfiniment si on ne devenait pas assez bon et assez sage pour
mériter d’être transformé en esprit pur. Tous faisaient donc de
leur mieux.
Les ateliers de
peinture, de musique, de poterie et même de cuisine étaient
combles. Qui savait si, à l’instar de l’ectoplasme Donahue, il
n’était pas porteur d’un don caché à réaliser au plus vite ?
D’ailleurs, même les plus laides des œuvres trouvaient preneurs.
Des mécènes anxieux de secourir les pauvres artistes les
affichaient courageusement dans leur salon.
Apprendre,
progresser, savoir, s’améliorer. « Entretenez la beauté de votre
âme. Cultivez-la comme un jardin », clamaient les publicités des
écoles par correspondance.
Les patrons
suppliaient leurs salariés d’accepter des augmentations que
ceux-ci refusaient, désireux plutôt de disposer de temps libre pour
explorer leurs talents. « Des bibliothèques, pas des sous »,
revendiquèrent les syndicats. Des maçons volontaires en
construisirent à tour de bras.
Simultanément, bien
sûr, la thanatonautique connut un regain d’intérêt. Qui ne
souhaitait pas monter là-haut retrouver « ses chers disparus » ou,
du moins, faire une bonne fois le point sur son karma ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire