Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 231 – BRÈVE BIOGRAPHIE DE MAXIME VILLAIN

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samedi 31 janvier 2015

231 – BRÈVE BIOGRAPHIE DE MAXIME VILLAIN

Quand il était petit, Maxime Villain était un enfant normal, à une différence près : lorsqu’il parlait, personne ne l’écoutait. Il commençait une phrase et, comme par hasard, il y avait toujours quelqu’un pour l’interrompre aussitôt. À table, à la maison, on le coupait d’un « passe-moi le sel ». À l’école primaire, l’instituteur déclarait : « Passons maintenant au cours suivant. » Il suffisait qu’il ouvre la bouche pour que l’attention des autres soit attirée par n’importe quoi ou que quelqu’un se mouche.
Maxime en était d’autant plus mortifié que, lui, de son côté, écoutait soigneusement tout interlocuteur et pouvait demeurer des heures sans rien dire à emmagasiner toutes les informations qu’on lui transmettait.
Flattés de son attention, il avait ainsi multiplié les amis qui lui avaient transmis tour à tour leur intérêt et donc leur savoir dans des domaines aussi hétéroclites que l’hypnose, le secourisme, la littérature victorienne, l’informatique, la lutte gréco-romaine, l’astrophysique, la stratégie des guerres napoléoniennes, les mathématiques, la musique dodécaphonique et bien d’autres encore. Tout lui était bon pour remplir son réservoir de matières à penser.
Cependant, Maxime ne supportait pas de toujours prendre sans rien pouvoir échanger. Au début, il avait essayé de son mieux de forcer l’écoute. Après tout, il ne quémandait qu’un peu d’attention. Mais à peine commençait-il à échafauder un raisonnement que ses parents bâillaient et changeaient de conversation ou que ses professeurs disaient distraitement : « Très intéressant mais hors sujet. » Pareil avec ses amis.
Était-ce sa voix, grave et douce, qui était soporifique ? Les sons graves, en agissant sur le cœur et la poitrine, bercent et endorment. Des sonorités aiguës, au contraire, excitent et retiennent parce qu’elles s’adressent directement au cerveau. Maxime se dit qu’une voix haut perchée racontant n’importe quoi avait plus de chances d’être écoutée qu’une voix grave énonçant des choses passionnantes.
Il tenta donc de modifier la sienne, sans guère obtenir de résultats. De dépit, il se fit moine trappiste. Parmi ces hommes ayant fait vœu de silence et avec qui il n’y avait pas de dialogue possible, il se sentit enfin accepté et estimé.
Il eut là tout le loisir de réfléchir à sa situation et finit par s’accepter tel quel. Il était né récepteur. Il ne serait jamais émetteur. Il quitta en paix son monastère et continua à accumuler les connaissances à l’écoute des autres. Bien sûr, il ne restituait toujours rien de son savoir puisqu’il n’intéressait toujours personne, mais il devint ainsi une vaste banque de données humaines, extensible à l’infini. Avec tout ce qu’il avait engrangé de connaissances, que beaucoup auraient estimées parfaitement inutiles, il aurait gagné haut la main n’importe quel jeu télévisé à base de questions dites de culture générale.
Maxime Villain ne se lassait pourtant pas de s’informer en tout. Il découvrit que le journalisme lui permettrait de mieux assouvir sa passion. Il passa par toutes les rubriques : faits divers, science, potins, politique, culture. Et quand il écrivait, il n’avait pas à s’inquiéter de sa voix : parmi la masse d’abonnés au journal, il trouverait bien au moins un lecteur attentif.
Pour mieux se faire comprendre et retenir l’attention de ce lecteur mythique, il entreprit aussi de dessiner. « Les mots ne suffisent pas toujours, pensa-t-il. Une image s’avère souvent nécessaire pour les compléter. » Il livra désormais tous ses articles assortis d’un dessin. Il devint ainsi le chroniqueur vedette du Petit Thanatonaute illustré.
Au départ, l’écriture n’était pour lui qu’un vecteur de secours. Il comprit vite que des structures rigoureuses étaient nécessaires pour construire un récit. Il se passionna pour l’écriture dès lors qu’il la considéra comme une science exacte. Maxime Villain se mit à espérer rédiger un texte dont le ou les moteurs seraient si puissants que le premier mot lu, n’importe quel lecteur serait captivé, hypnotisé au point d’être incapable de l’abandonner et contraint de le lire jusqu’au bout.
Ce texte-là, ce serait sa revanche sur tous ces gens qui, jamais, ne l’avaient écouté.
Maxime disait : « Dans mon code des valeurs, je place très haut la littérature. Je sais que son but ultime n’est pas de faire de jolies phrases, ni de beaux personnages, ni même une jolie intrigue. Le but ultime de la littérature, c’est de faire rêver les gens plus loin ! » Faire rêver les gens plus loin…
N’empêche, en dépit de tous ses projets ambitieux, Maxime était resté journaliste sans jamais parvenir à achever le moindre livre. Il plaçait peut-être la barre trop haut.

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