Quand il était
petit, Maxime Villain était un enfant normal, à une différence
près : lorsqu’il parlait, personne ne l’écoutait. Il commençait
une phrase et, comme par hasard, il y avait toujours quelqu’un pour
l’interrompre aussitôt. À table, à la maison, on le coupait d’un
« passe-moi le sel ». À l’école primaire, l’instituteur
déclarait : « Passons maintenant au cours suivant. » Il suffisait
qu’il ouvre la bouche pour que l’attention des autres soit
attirée par n’importe quoi ou que quelqu’un se mouche.
Maxime en était
d’autant plus mortifié que, lui, de son côté, écoutait
soigneusement tout interlocuteur et pouvait demeurer des heures sans
rien dire à emmagasiner toutes les informations qu’on lui
transmettait.
Flattés de son
attention, il avait ainsi multiplié les amis qui lui avaient
transmis tour à tour leur intérêt et donc leur savoir dans des
domaines aussi hétéroclites que l’hypnose, le secourisme, la
littérature
victorienne, l’informatique, la lutte
gréco-romaine, l’astrophysique, la stratégie des guerres
napoléoniennes, les mathématiques, la musique
dodécaphonique et bien d’autres encore. Tout lui était
bon pour remplir son réservoir de matières à penser.
Cependant, Maxime
ne supportait pas de toujours prendre sans rien pouvoir échanger. Au
début, il avait essayé de son mieux de forcer l’écoute. Après
tout, il ne quémandait qu’un peu d’attention. Mais à peine
commençait-il à échafauder un raisonnement que ses parents
bâillaient et changeaient de conversation ou que ses professeurs
disaient distraitement : « Très intéressant mais hors sujet. »
Pareil avec ses amis.
Était-ce sa voix,
grave et douce, qui était soporifique ? Les sons graves, en agissant
sur le cœur et la poitrine, bercent et endorment. Des sonorités
aiguës, au contraire, excitent et retiennent parce qu’elles
s’adressent directement au cerveau. Maxime se dit qu’une voix
haut perchée racontant n’importe quoi avait plus de chances d’être
écoutée qu’une voix grave énonçant des choses passionnantes.
Il tenta donc de
modifier la sienne, sans guère obtenir de résultats. De dépit, il
se fit moine trappiste. Parmi ces hommes ayant fait vœu de silence
et avec qui il n’y avait pas de dialogue possible, il se sentit
enfin accepté et estimé.
Il eut là tout le
loisir de réfléchir à sa situation et finit par s’accepter tel
quel. Il était né récepteur. Il ne serait jamais émetteur. Il
quitta en paix son monastère et continua à accumuler les
connaissances à l’écoute des autres. Bien sûr, il ne restituait
toujours rien de son savoir puisqu’il n’intéressait toujours
personne, mais il devint ainsi une vaste banque de données humaines,
extensible à l’infini. Avec tout ce qu’il avait engrangé de
connaissances, que beaucoup auraient estimées parfaitement inutiles,
il aurait gagné haut la main n’importe quel jeu télévisé à
base de questions dites de culture générale.
Maxime Villain
ne se lassait pourtant pas de s’informer en tout. Il découvrit que
le journalisme lui permettrait de mieux assouvir sa passion. Il passa
par toutes les rubriques : faits divers, science, potins, politique,
culture. Et quand il écrivait, il n’avait pas à s’inquiéter de
sa voix : parmi la masse d’abonnés au journal, il trouverait bien
au moins un lecteur attentif.
Pour mieux se faire
comprendre et retenir l’attention de ce lecteur mythique, il
entreprit aussi de dessiner. « Les mots ne suffisent pas toujours,
pensa-t-il. Une image s’avère souvent nécessaire pour les
compléter. » Il livra désormais tous ses articles assortis d’un
dessin. Il devint ainsi le chroniqueur vedette du Petit Thanatonaute
illustré.
Au départ,
l’écriture n’était pour lui qu’un vecteur de secours. Il
comprit vite que des structures rigoureuses étaient nécessaires
pour construire un récit. Il se passionna pour l’écriture dès
lors qu’il la considéra comme une science exacte. Maxime Villain
se mit à espérer rédiger un texte dont le ou les moteurs seraient
si puissants que le premier mot lu, n’importe quel lecteur serait
captivé, hypnotisé au point d’être incapable de l’abandonner
et contraint de le lire jusqu’au bout.
Ce texte-là, ce
serait sa revanche sur tous ces gens qui, jamais, ne l’avaient
écouté.
Maxime disait : «
Dans mon code des valeurs, je place très haut la littérature. Je
sais que son but ultime n’est pas de faire de jolies phrases, ni de
beaux personnages, ni même une jolie intrigue. Le but ultime de la
littérature, c’est de faire rêver les gens plus loin ! » Faire
rêver les gens plus loin…
N’empêche, en
dépit de tous ses projets ambitieux, Maxime était resté
journaliste sans jamais parvenir à achever le moindre livre. Il
plaçait peut-être la barre trop haut.
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