Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 23 – MISE AU POINT

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samedi 24 janvier 2015

23 – MISE AU POINT

J’avais quatorze ans quand Raoul vint me chercher à la maison en m’intimant de me dépêcher. Mes parents maugréèrent. Non seulement c’était l’heure du dîner mais ils persistaient à estimer que Raoul Razorbak exerçait sur moi une très mauvaise influence. Comme j’avais ces derniers temps obtenu d’excellentes notes en maths, en copiant sur mon ami, bien sûr, ils hésitèrent à me priver de sortie.
Ils m’ordonnèrent pourtant de prendre garde et de rester sur le qui-vive. Tout en nouant mon cache-col, mon père me chuchota que c’était de nos meilleurs amis que venaient toujours nos pires ennuis.
Ma mère renchérit, perfide :

- Moi, voilà comme je définis un « ami » : c’est celui dont la trahison provoque la plus vive surprise.

Raoul m’entraîna vers l’hôpital Saint-Louis en m’expliquant qu’on venait d’y créer un service regroupant mourants et comateux. « Service d’accompagnement des mourants », l’avait-on pudiquement baptisé. Il avait été installé dans l’aile gauche d’un bâtiment annexe. Je demandai ce qu’il comptait faire en pareil lieu. Il riposta tout net que cette visite serait pour nous une excellente occasion d’en apprendre davantage.

- Davantage ? Et sur quoi ?


- Sur la mort, évidemment !

L’idée de pénétrer dans un hôpital ne m’enthousiasmait guère. L’endroit serait rempli d’adultes sérieux et je serais étonné qu’ils nous laissent y jouer.
Raoul Razorbak, cependant, n’était jamais à court d’arguments. Il me raconta avoir lu dans des journaux qu’après un coma des gens se réveillaient et racontaient des histoires extraordinaires. Ces rescapés prétendaient avoir assisté à des spectacles étranges. Ils n’avaient pas vu de barques ni de serpents cracheurs de feu mais d’attirantes lumières.

- Tu parles des expériences aux frontières de la mort, ce que les Américains nomment les NDE, pour « Near Death Expériences » ?


- C’est ça. Des NDE.

Tout le monde savait ce qu’étaient les NDE. Elles avaient été très à la mode, un moment. Il y avait eu plusieurs best-sellers sur ce thème. Des hebdomadaires les avaient mises en couverture. Et puis, comme toutes les modes, celle-là aussi avait fini par s’estomper. Après tout, on ne disposait d’aucune preuve, d’aucun indice tangible, juste de quelques jolies histoires recueillies de bric et de broc.
Raoul croirait-il à pareilles fables ?
Il étala devant moi plusieurs coupures de journaux et nous nous agenouillâmes pour mieux les examiner. Ces extraits n’étaient pas tirés de magazines réputés pour leur sérieux ou la rigueur de leurs enquêtes. Des titres en caractères gras et baveux annonçaient la couleur : « Voyage au-delà de la mort »1, « Témoignage d’après-coma », « La vie après la vie »2, « J’en suis revenu et j’aime ça », « La mort et puis après »3
Pour Raoul, ces mots semblaient auréolés d’une poésie particulière. Après tout, son père était là-bas…
En guise d’illustrations, il n’y avait que des photos floues avec auras superposées ou des reproductions de tableaux de Jérôme Bosch.
Dans les textes, Raoul avait souligné en jaune fluo quelques passages qu’il estimait essentiels : « Selon un sondage de l’Institut américain Gallup, huit millions d’Américains prétendent avoir connu une NDE. »4 « Une enquête effectuée en milieu hospitalier démontre que 37 % des comateux assurent avoir flotté hors de leur corps, 23 % ont aperçu un tunnel, 16 % ont été happés par une lumière bénéfique. »

Je haussai les épaules.

- Je ne veux pas t’ôter tes illusions, mais…

- Mais quoi ?


- J’ai eu un accident de voiture. J’ai valdingué dans les airs et je me suis assommé en retombant. Trois heures sans connaissance. Un vrai coma. Et je n’ai pas aperçu l’ombre d’un tunnel ni la moindre lumière bénéfique.

Il parut surpris.

- Tu as vu quoi, alors ?


- Rien, précisément. Rien de rien.


Mon ami me considéra comme si j’étais frappé d’une maladie rare provoquée par un virus non encore répertorié.

- Tu affirmes avoir été dans le coma et n’en avoir conservé aucun souvenir ?

- Affirmatif.

Raoul se gratta pensivement le menton puis son visage s’illumina :

- Je sais pourquoi !

Il ménagea ses effets avant de prononcer une phrase que je méditerais longtemps :

- Tu n’as rien vu parce que… tu n’étais pas « assez » mort.


4Quelques explications en anglais sur les résultats statistiques de cet institut de sondage : http://www.nderf.org/NDERF/Research/number_nde_usa.htm

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