Raoul était
reparti à la recherche de sa mère qui, ignorant son revirement, se
terrait toujours. Il parlait moins, mais il semblait toujours habité
par la rage. Privé des effets anesthésiants de l’alcool, il était
chaque jour plus amer. Après avoir si longtemps tenté de rejoindre
son père, il ne parvenait plus à présent à trouver sa mère.
Après tout, ce n’était qu’une quête psychanalytique courante.
Encore une fois le complexe
d’Œdipe faisait des siennes. Si ce n’est que Raoul avait
tout inversé. Il était amoureux de papa et voulait tuer maman.
Stefania
s’efforçait de le réconforter de son mieux et ils avaient,
ensemble, de longues conversations. Avec moi Raoul se taisait, comme
honteux de son comportement passé.
Amandine faisait
maintenant figure de star. Elle était devenue notre thanatonautesse
n°1. Elle allait et venait entre les Buttes-Chaumont et le Paradis
où saint Pierre, avec qui elle était devenue très liée,
l’appelait, prétendait-elle, « ma petite initiée ».
Lucinder grimpait
dans les sondages préélectoraux tandis que Rose et moi nous
préoccupions surtout de la géographie complète du Paradis. Qu’y
avait-il après la zone de pesée des âmes ? Nous l’avions maintes
fois approchée, mais jamais nous n’étions parvenus à contourner
la montagne de lumière pour découvrir ce qu’il y avait derrière,
nos cordons argentés s’avérant trop courts. Et comme en plus Rose
était enceinte, aucun de nous deux n’avait envie de risquer sa vie
pour le savoir.
Mon astronome
d’épouse persistait à penser qu’au bout du trou noir se
trouvait son contraire, une fontaine blanche projetant les âmes à
la façon d’un fusil à canon évasé. Les morts étaient aspirés
d’un côté puis propulsés de l’autre vers leur réincarnation.
En attendant d’y aller voir, elle s’était attelée plus
prosaïquement à une étude sur les rayons gamma, davantage chargés
d’énergie que les rayons X ou ultraviolets. Elle mit au point un
nouveau détecteur de rayons gamma qui nous permit d’encore mieux
observer, depuis la Terre, les abords du Paradis et le centre de
notre galaxie.
Finissant de prendre
mon bain, je m’attardais un jour à considérer l’eau qui
s’évacuait en glougloutant dans la bonde. Tout le secret de
l’astronomie était là, dans ce vortex, tel un trou noir où se
précipitait cette eau usée. Un cercle au centre plein d’énergie.
Je songeais à la vieille énigme de Raoul : comment tracer un
cercle et sa circonférence sans lever son stylo ?
L’eau partait
vers les égouts. Mais par où s’évacuaient nos âmes ? En toute
chose, ne jamais rechercher la tête, toujours se concentrer sur le
centre. Stefania affirmait que le vrai moi réside dans l’ancien
corridor qui nous relie un temps à notre mère. Le nombril. Par là,
nous avions reçu nourriture, sang et force et puis, à la naissance,
la porte s’était refermée. Mais, selon Stefania, le nombril n’en
demeurait pas moins un point important. Notre centre de gravité,
donc notre centre réel.
En contact avec
toutes les zones qu’il avait jadis nourries, il suffisait de le
réchauffer en cas de maladie pour qu’il irradie tout le corps.
Avec le nombril de
notre ventre, nous commençons à vivre. Dans le nombril de la
galaxie, nous mourons.
Je fixai la
baignoire maintenant vide et enfilai un peignoir sur ma peau moite.
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