Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 199 – NOUS Y VOICI

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samedi 31 janvier 2015

199 – NOUS Y VOICI

Freddy m’épate. Il s’avance sans complexe vers cette frontière que nul humain n’a encore jamais franchie. Le cordon démesurément étiré, il s’avance hardiment, et moi je traîne les pieds. Je suis un peu las des surprises de la mort. Pourtant, je sens que là derrière se dissimule le dernier mystère, le mystère final de la mort.
Je connaîtrai enfin le secret le plus secret. Qui donc a causé davantage de victimes que… la mort ? Ici, derrière ce rideau, s’achèvent tous les thrillers et tous les romans d’amour. Ici, derrière ce rideau, la science-fiction rejoint le fantastique et toutes les mythologies du monde fusionnent avec la science exacte.
J’hésite d’abord, et puis je me précipite.
Le voilà enfin, l’ultime territoire du Continent Ultime.
Je le vois.
Un instant j’oublie Rose. Mystère des mystères, secret des secrets, jamais révélé aux hommes, je te vois. Je te vois, je te sens, je t’entends. Ici est la fin. Ici est le cimetière des éléphants. Ici meurt la lumière, toutes les lumières, les sons, tous les sons. Les âmes, toutes les âmes. Les idées, toutes les idées.
Je suis au Paradis.
Des millions de musiques célestes éclatent dans ma tête. Des débris d’étoiles m’adressent de gentils adieux. Une étoile qui meurt et un homme qui meurt accomplissent le même chemin. Ils vont au Paradis.
Je marche dans la brume, foulant de mes pieds cotonneux un territoire précieux. Mes bras translucides s’élèvent comme pour un salut. Mes genoux se plient pour une génuflexion. J’embrasse ce sol flou.
Par erreur ou par amour, je suis au Paradis. Et que c’est beau ! Plus beau encore que toutes les visions d’idéale beauté du sixième territoire. Elles n’étaient que reproductions et imitations. La réelle beauté du Paradis les surpasse toutes.
Le Paradis est mon seul pays, ma seule patrie, l’unique objet de mon chauvinisme. Je suis d’ici. Il me semble avoir toujours connu cet endroit, avoir toujours su que de là je venais et que là je devais retourner. Sur terre, là-bas, si bas, je n’étais que de passage. En vacances. Je suis un ectoplasme, je n’ai jamais vraiment été Michael Pinson. Je ne suis qu’un pur ectoplasme. Jamais je n’ai été ce triste, ce stupide Michael Pinson.
Il est si bête, ce type, alors que mon vrai moi est si… léger. La légèreté, voilà la vertu cardinale. Mon ambition est de demeurer une vapeur pensante. J’ai été attaché à la terre et à mon corps. Erreur jeunesse.
Je vois Rose et je l’aime bien davantage que sur terre. Pourquoi redescendrions-nous vers nos peaux étriquées, nos corps douloureux et nos cervelles farcies de soucis effarants ? Nous sommes bien tous les deux, ici. Nous n’avons plus peur du temps. Nous n’avons plus peur de rien.
Je me fiche des thanatonautes qui m’attendent à la porte du Paradis. Ils sont bien bêtes de rester là. Moi, j’ai retrouvé mon pays et mon monde. Révélation des révélations. Je suis dans ma source. Je vois le vrai soleil. À côté, l’autre, celui des Terriens, me semble jaunâtre. Le blanc, le vrai blanc, le blanc pur n’existé qu’au Paradis.
Je suis au Paradis. J’étais venu pour en préserver Rose, quelle dérision !
La brume s’éparpille. Sous moi apparaît la longue file des morts. Elle forme comme un fleuve qui, plus loin, semble se diviser. Je descends examiner le phénomène de plus près. Le fleuve des âmes se scinde en effet en quatre branches et, au milieu des âmes humaines, je discerne maintenant des âmes animales et même végétales. Sans doute le Paradis possède-t-il une deuxième porte par où elles se sont engouffrées. Il y a là des anémones marines et des algues, des ours et des roses. Les végétaux aussi ont une âme. Je le sais puisque à présent je comprends tout.
Le syncrétisme absolu. Nous sommes tous solidaires et, sur terre, tous ensemble, nous avons souffert. Il faut vivre en évitant toute violence. Ne pas faire violence aux autres quelle que soit leur nature, ne pas se faire non plus violence. Cette loi de l’existence me pénètre jusqu’au bout de mes orteils. Je n’étais donc que ça, un humain ignorant voué à monter un jour au Paradis jauger son ignorance.
Le fleuve, charriant âmes humaines, animales et végétales, se divise en quatre branches. Quels ouvrages entassés dans le bureau de Raoul évoquaient-ils déjà un pays irrigué par quatre fleuves ? Les hindous en parlaient, les juifs aussi. Des phrases du mémoire de Raoul me traversent l’esprit : « MYTHOLOGIE HÉBRAÏQUE. Le Paradis réside dans la septième sphère céleste. Deux portes y donnent accès. On y est invité à danser et à se réjouir. On voit quatre fleuves, l’un de l’air, l’un de miel, l’un de vin, l’un d’encens…» « Le Paradis est arrosé par quatre fleuves », disait aussi le Coran.
D’un bout du monde à l’autre, les Anciens savaient et s’étaient servis de métaphores pour décrire un même paysage.
Quatre fleuves. Quatre subdivisions. Quatre types d’âmes, pas seulement le bien et le mal, plutôt quatre tonalités comme les graves, les médiums, les aigus et les suraigus. Quatre façons d’être une âme.
Suivant Rose, Freddy et moi remontons les quatre fleuves de défunts.

Et soudain, j’aperçois les anges.

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