La phase « que le
meilleur gagne au sprint » fut moyennement intéressante. Comme les
thanatonautes partaient maintenant le plus souvent seuls ou en petits
groupes, ne disposant plus du soutien de la pyramide pour les
arracher aux merveilles de la connaissance pure ou de la beauté
idéale, beaucoup tranchèrent eux-mêmes leur cordon pour rester
là-haut.
Demeurés
plus lucides, peut-être en raison de leurs égarements passés, les
dominicains furent les premiers à atteindre Moch 6 en se servant
d’une des figures acrobatiques que leur avait enseignées Freddy.
Pourtant, ils ne parvinrent pas à le franchir.
Il en alla de même
pour notre équipe.
Progressivement, le
public s’était désintéressé de nos expéditions et nous ne
faisions plus la une des journaux.
Pour l’ensemble
des gens, il semblait désormais évident que la thanatonautique
n’était qu’une course sans fin. Moch 1,
Moch 2, Moch 3,
Moch 4, Moch 5,
Moch 6… Pourquoi pas ensuite Moch 124
ou Moch 2018 avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, toutes les
épreuves possibles et pourquoi pas un triathlon olympique ?
L’Osservatore
Romano, organe de presse du Vatican, railla ces prétendus pionniers
qui avaient osé douter de l’infini des cieux. « La
thanatonautique est le dernier opium du peuple », titra le journal
britannique Times.
La thanatonautique
devint la cible des plaisanteries des caricaturistes, des showmen et
des marionnettes de la télévision. Elle perdait tout caractère
sacré pour devenir un fonds de commerce parmi d’autres.
Dans la boutique
familiale, les ventes déclinaient. Ma mère et mon frère avaient
beau lancer de nouveaux posters, des tee-shirts aux plus belles
couleurs de l’au-delà, des casquettes avec motif en relief, des
sandalettes ailées, des affichettes fluo visibles uniquement dans le
noir, des rations alimentaires « spécial thanatonaute », les
clients se faisaient rares. Bon, après Moch 6, il y aurait Moch 7,
et quel intérêt ?
Raoul pestait :
- Ce n’est pas notre faute, quand même, si cette aventure commence à présenter des aspects répétitifs. Ce n’est pas nous qui avons inventé la géographie du Continent Ultime. Nous nous acharnons seulement à la découvrir et c’est toujours aussi passionnant.
Il ne décolérait
pas. Si les gens se moquaient de notre entreprise, les crédits
diminueraient. Les caisses noires présidentielles n’étaient pas
inépuisables.
Lucinder nous
restait pourtant attaché. Si le public ne se captivait que pour le
spectacle, eh bien, qu’on lui en fournisse ! Il suggéra une série
de cours de méditation télévisée, tous les dimanches matin, en
remplacement des traditionnelles leçons d’aérobic. Freddy et
Stefania y feraient merveille. Le Président avait même trouvé un
titre pour leur show : « Le XXIIe siècle sera spirituel ou ne sera
pas. » Il en était très content.
- Il nous prend pour des singes savants ou quoi ? s’énerva Stefania.
- Il faut le comprendre, dis-je. Après tout, c’est normal que les gens se lassent de ces interminables murs comatiques. Moi-même, parfois, j’ai l’impression que nous n’en finirons jamais !
- Erreur ! s’exclama Freddy. Moch 6 sera la dernière frontière.
Nous le sommâmes de
s’expliquer. Serein, insondable à l’abri de ses lunettes noires,
le rabbin parla.
- Dans la Bible, dans la Cabale comme dans nombre de textes sacrés, il est écrit qu’il existe sept ciels. Sept ciels, donc sept territoires après la mort. Vous connaissez d’ailleurs tous l’expression « aller au septième ciel ». Sept, pas un de plus, pas un de moins. J’en ai discuté avec des religieux d’autres confessions et nous avons tous constaté que ce chiffre 7 revenait toujours pour décrire les pays de l’au-delà. Moch 6 sera probablement le dernier mur.
- Et qu’y aura-t-il
derrière ? Demandai-je.
Freddy eut un geste
d’impuissance.
- Le centre du trou noir, Dieu, un ticket de loterie, une luciole, une impasse peut-être… À nous d’y aller voir !
Sans enthousiasme,
je me penchai sur mes boosters.
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