Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 175 – LA BATAILLE DU PARADIS

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samedi 31 janvier 2015

175 – LA BATAILLE DU PARADIS

L’atmosphère œcuménique et bon enfant de notre thanatodrome ne nous faisait pas oublier la réalité des durs combats d’un conflit qui ne faisait que commencer.
L’Alliance et la Coalition étaient lancées dans une guerre sans merci. Chaque jour, nos thanatonautes se réveillaient en sueur, tremblant de tous leurs membres et annonçant de nouvelles pertes. Freddy Meyer, notre rabbin chorégraphe promu chef de guerre, décida que l’heure était venue de lancer notre grande offensive. La célèbre « bataille du Paradis » eut lieu en l’an 2065 de notre ère. Raoul, Rose, Amandine et moi la suivîmes de notre mieux à l’aide de notre antenne parabolique mais nous ne pouvions que constater l’agitation qui régnait parmi les âmes. Maxime Villain en donna plus tard dans son journal une assez bonne relation. La voici :

BATAILLE AU PARADIS.

Alors que la brume créée par les étoiles mourantes s’épaissit aux alentours du vortex béant du trou noir qu’on nomme Paradis, je vois s’avancer l’armée du rabbin Freddy Meyer, forte de ses moines chinois affables, de ses bouddhistes paisibles, d’impressionnants sorciers cheyennes et de joyeux marabouts africains animistes. Leur groupe est soudé. Les légions de l’Alliance ont rapproché leurs ectoplasmes de façon à tenir en échec leurs adversaires les plus inouïs.
Les troupes de la Coalition surgissent quelques minutes plus tard. En première ligne, planent des moines shintoïstes, tels de terribles bombardiers prêts à décimer les cordons ombilicaux. En position de karatékas, ils font tournoyer le tranchant de leurs mains comme autant d’invincibles faux. Derrière eux, disposés sur deux ailes, ricanent des haschischins tandis que des dominicains psalmodient des prières.
Le ciel grouille d’âmes. Des deux côtés, des renforts arrivent de tous les thanatodromes du monde. D’une part, près de mille deux cents rabbins, animistes, bouddhistes, cabalistes et taoïstes. De l’autre, deux mille trois cents moines shintoïstes, chamans, haschischins et dominicains.
À la tête de l’Alliance, le rabbin Meyer communique par télépathie ses ordres à ses troupes. Chez les Coalisés, le général Shiku, grand stratège japonais, transmet de même ses instructions. Signalons que, depuis leur défaite du 15 mai, ses âmes ont appris à maîtriser leurs plus pénibles souvenirs afin de n’en pas être immédiatement victimes dès la zone noire.
Quoi qu’il en soit, ils ont décidé cette fois de demeurer à l’extérieur du Paradis afin de mieux contrôler le passage des cordons ombilicaux ennemis. Les Alliés, quant à eux, se sont placés près des portes afin d’avoir dans leur dos la lumière qui, espèrent-ils, attirera et aveuglera leurs adversaires.

Shiku et le Vieux de la Montagne donnent le signal de la charge en prenant leur cordon ombilical à pleine main. Les haschischins déferlent sur l’aile essentiellement défendue par les sorciers animistes et cheyennes. Les rabbins libéraux accourent à leur secours mais sont arrêtés par les moines shintoïstes qui, du tranchant de leur paume, coupent leurs cordons comme autant de tiges de fleurs dans un jardin. Moines taoïstes et dominicains se lancent dans la mêlée.
Toute stratégie semble avoir disparu. Ce n’est plus qu’une gigantesque foire d’empoigne parmi les étoiles. Alentour, les défunts du jour continuent d’affluer et passent, à peine intrigués par ces âmes qui luttent avec un tel acharnement sur les pourtours du Paradis.
Les Alliés constatent à un moment qu’en raison d’effectifs moindres, ils commencent à avoir le dessous. Ils foncent vers le premier mur comatique. Craignant qu’ils ne reprennent leur tactique du 15 mai, Shiku entraîne ses troupes à leur poursuite.
Sur les corniches du deuxième monde, de plus en plus escarpées, les pieux combattants s’affrontent en même temps que leurs plus horribles souvenirs. Les âmes sont transies dans ce lieu qui sent la terre et la mort. De nombreux cordons sont coupés et des ectoplasmes de guerriers trépassés filent vers la lumière. Trois haschischins s’en prennent à un rabbin libéral qui tente d’échapper à leurs mouvements saccadés par des pas de danse yiddish. Grace à des sauts de kung-fu, un moine taoïste parvient à trancher d’un seul mouvement six cordons ombilicaux dominicains. Un Mohican se retrouve seul contre un groupe d’Iroquois. En grappes serrées, des moonistes résistent à des scientologues. Les sectes semblent vouloir tout spécialement en découdre entre elles. Se créent des associations bizarres. Un marabout africain sauve un chaman indonésien, prisonnier d’un exorciste catholique-romain qui se demande un peu ce qu’il fait là. Une bande de moines zen se perd dans la corniche. On assiste à une belle charge de gourous indiens, bien tassés en position du lotus, contre des derviches tourneurs virevoltant en toupie.
Eux ont mis au point une ligne de défense tournante qui permet d’abriter les soldats les plus épuisés de leur camp. Une horde de jésuites coince un groupe d’ayatollahs chiites pour être à son tour attaquée par des haschischins. Ils ne doivent leur salut qu’à un commando de Druzes et à un petit groupe d’Alaouites.
Ça y est, le dernier des Mohicans est mort. Des Cheyennes le vengent. Contre-attaque des derviches tourneurs soutenus par des marabouts. Regroupement en triangle des moines zen afin d’empêcher des chamans indonésiens d’accourir à la rescousse de juifs libéraux.
Les cordons ombilicaux claquent comme des élastiques. On se mord, on se tire. Crocs-en-jambe et crocs-en-cordon. La lumière du fond du tunnel éclaire ces duels d’une lueur blanche. Des visages effrayés ou enragés pâlissent comme sous des néons. De loin, j’aperçois des groupes liés par leurs cordons tentant des manœuvres compliquées et souvent vouées à l’échec. Plus la moindre pitié. Plus la moindre miséricorde. Chacun se bat pour tuer ou être tué.
Les Alliés semblaient au début les plus aptes à triompher mais ils sont de plus en plus dominés par la hargne de leurs adversaires. C’est dans leur camp que les cordons coupés sont les plus nombreux.
Le rabbin Meyer envoie le signal télépathique de la retraite et court vers le deuxième mur comatique. Général Shiku toujours en tête, les Coalisés suivent. Mais franchissant Moch 2, ils découvrent la zone rouge, pleine de délices et de plaisirs. Après les douloureux souvenirs, les dévots sont contraints d’affronter leurs fantasmes sexuels. Quelle lutte titanesque que cette bataille où des moines transparents tentent de se couper mutuellement leurs cordons argentés tout en repoussant leurs désirs les mieux refoulés !
On ne sait plus où s’arrête l’horreur et où commence l’orgie. Dominicains et haschischins sont les plus frappés par ces visions sexuelles qui les assaillent de partout. Sans doute étaient-ils plus frustrés que les juifs et les bouddhistes car leurs lignes sont décimées tandis que les Alliés, que leur religion autorise à posséder des femmes et à faire l’amour sans tabou, résistent sans trop de mal.
Aux prises avec une entreprenante geisha qui veut à tout prix fouiller sous leur cordon ombilical, le général Shiku et le Vieux de la Montagne prennent la fuite, suivis par ce qu’il reste de leurs combattants ectoplasmiques.
À qui attribuer la victoire dans cette bataille du Paradis ? Sans nul doute aux visions érotiques !

Maxime VILLAIN

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