Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 137 – STEFANIA S’ENVOIE EN L’AIR

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vendredi 30 janvier 2015

137 – STEFANIA S’ENVOIE EN L’AIR

Nous étions au restaurant thaïlandais et nous avions beaucoup de mal à empêcher une Stefania toujours très enjôleuse de parler trop fort et de contenir son exaltation. Elle dégageait de surcroît une telle aura de sexualité que tous les regards masculins étaient fixés sur elle.
Ceux des femmes aussi, d’ailleurs. Même Amandine ne parvenait plus à rester indifférente aux accents rauques, aux paroles extasiées de Stefania.
Elle ne parlait que de plaisir !
Le plaisir ! Après tout, quelle est notre principale motivation ici-bas ? Que recherchons-nous dans cette vie ? Pourquoi travaillons-nous, nous intéressons-nous aux autres, qu’est-ce qui nous fait courir ? Le plaisir !
Il fallut plusieurs assiettes de riz basmati pour calmer l’Italienne et que, de retour dans notre penthouse, elle retrouve une attitude scientifique et consente à se pencher sur notre carte.
Alors, après Moch 2 ? Eh bien, à environ « coma plus vingt-quatre minutes », l’ectoplasme était envahi d’agréables sensations. Après la zone bleue et la zone noire, la zone rouge. Celle du Plaisir. Dopé, le thanatonaute accélère son vol vers la lumière. Les parois du tunnel rouge sont tendres comme du velours. L’âme a l’impression d’avoir regagné la matrice maternelle et de s’apprêter à renaître. Merveilleux !
Et tout à coup, les fantasmes les plus secrets se réalisaient. Les hommes dont avait rêvé Stefania sans pouvoir les séduire étaient là, lui tendant les bras et multipliant les propositions impudiques. Elle s’était livrée avec eux à des jeux érotiques qu’elle n’avait jamais même osé imaginer. Mais il n’y avait pas eu que le sexe. Elle avait dégusté avec délices des nourritures qui l’avaient toujours tentée mais qu’elle ne s’était jamais permise de toucher.
Elle s’était découvert des envies qu’elle ne se connaissait pas. Des femmes, même, s’étaient occupées d’elle avec les plus suaves des caresses. Il lui avait fallu s’accrocher très fort à ses prières tibétaines pour renoncer à ces délices et rentrer au thanatodrome. Elle avait dû avoir recours à toute sa volonté. Elle avait pensé à nous qui l’attendions pour savoir. Mais ce n’était pas ça le plus important.
Elle avait aperçu un nouveau mur comatique, Moch 3.
Elle reprit la carte, raya « Débouche peut-être sur Territoire 3 (?) » puis, étirant sa langue comme une écolière appliquée, écrivit à la place :

TERRITOIRE 3

  • Emplacement : coma plus 24 minutes.
  • Couleur : rouge.
  • Sensations : plaisir, feu. Zone chaude et humide où l’on affronte ses plus délirants fantasmes. Zone perverse aussi, car elle nous révèle les plus inexprimés de nos désirs. Il faut les regarder en face et s’en laisser envahir, sinon on reste collé à la paroi gluante. La lumière est toujours là, comme pour nous intimer de poursuivre notre chemin.
  • S’achève sur : Moch 3.

Après cet intermède, la vie au thanatodrome changea un peu. Revenue du pays pourpre les sens exacerbés, Stefania se jeta carrément à la tête de Raoul. Elle n’eut d’ailleurs pas trop à le bousculer. Dès la première rencontre, mon ami n’avait pas caché sa fascination pour les rondeurs voluptueuses de l’Italienne.
Contrairement à ce qui s’était passé avec Amandine, il afficha sa liaison au grand jour. Je n’osais plus pénétrer dans les toilettes de la salle d’envol de crainte de déranger le couple dans ses ébats.
Amandine était en plein désarroi et bien sûr, comme toujours, elle vint chercher auprès de moi consolation et réconfort. Délaissant le restaurant thaïlandais de M. Lambert où nous risquions trop de tomber sur les deux amants enlacés, elle s’invita un soir chez moi sans crier gare. Il y avait quelques œufs dans mon réfrigérateur. J’improvisai une omelette aux échalotes roussies. Je ne suis pas grand cuisinier et l’omelette s’avéra un peu trop cuite mais Amandine n’en avait cure.

- Toi, Michael, tu es le seul homme qui me comprenne vraiment.

Je détestais ce genre de phrase. Baissant la tête, j’ôtai discrètement quelques morceaux de coquille d’œuf que j’avais laissés choir par inadvertance dans le plat.
Je disposai deux de mes plus belles assiettes sur la table de la cuisine. Machinalement, elle s’assit.
Je partageai soigneusement l’omelette en deux. Amandine resta là, fixant sa portion sans la voir.

- Tu ne manges pas ? demandai-je. Elle n’est pourtant pas si ratée.

- Je suis convaincue qu’elle est délicieuse, ce n’est pas ça. Je n’ai pas faim, soupira-t-elle.

Elle me prit la main et me fixa avec un air de chien mouillé abandonné.

- Mon pauvre Michael… Comme je dois t’ennuyer avec mes histoires de cœur…

Je la regardai, elle était encore plus belle lorsqu’elle était triste. Ce soir-là, je dus écouter par le menu tout le récit de son histoire d’amour avec Raoul. Comme il était doux, comme il était plein d’initiatives et attentionné. Elle m’affirma qu’il était l’homme de sa vie, et que jamais elle n’avait été aussi amoureuse. Je lui répondis qu’elle ne devait pas s’en faire, Stefania n’était qu’une aventure, il finirait par revenir vers elle.
Je ne comprenais pas comment un homme pouvait ne pas être fou amoureux de cette biche douce aux yeux bleu marine. Même pour la replète et trop audacieuse Transalpine.

- Tu es si gentil avec moi, Michael.

Mais il n’y avait rien dans son aura qui sonnait en résonance avec la mienne. Elle me considérait comme un ami, ou comme un collègue asexué. Peut-être était-ce mon désir tellement exacerbé qui lui répugnait. Peut-être pressentait-elle ma passion niagaresque et en redoutait-elle les effets.

- Tu es si gentil, Michael ! Laisse-moi dormir avec toi ce soir, je t’en prie. J’ai si peur de me retrouver toute seule entre mes draps froids !

Je verdis, je rougis, je toussai.

- D’accord, balbutiai-je.


Sex appeal d'un pyjama en coton



J’enfilai un pyjama de coton que je boutonnai jusqu’au cou. Elle conserva sa combinaison de soie. Je sentais auprès de moi une peau satinée, un corps menu dégageant des effluves de mousse et d’ambre. J’étais au supplice. Aucune femme n’avait jamais suscité en moi un tel bouleversement.
Tremblant d’émotion contenue, j’approchai ma main de son épaule et effleurai son épiderme fin.
Amandine, benoîtement blottie dans mes draps, était une émanation de plaisirs promis. Mon cerveau était en pleine ébullition. Un dixième de mouvement supplémentaire et je connaîtrais ce qu’avait connu Stefania là-haut. Une forte explosion. Ce devait être mon hypophyse qui m’envoyait cette impression de douleur. Mes doigts parcoururent encore quelques pas sur cette route dangereuse.
Elle me saisit la paume et la repoussa avec un sourire désolé.

- Ne gâchons pas une si belle amitié, murmura-t-elle. Tu es mon seul et unique ami, je ne veux pas te perdre.

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