Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 134 – INTERNATIONALISATION

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jeudi 29 janvier 2015

134 – INTERNATIONALISATION

Lucinder nous rendit visite et nous conseilla de ne pas pavoiser trop vite. Nombre de religieux étaient en pleine effervescence. Le Pape, de même que certaines communautés intégristes, considérait d’un mauvais œil l’ingérence de la thanatonautique dans la vie monastique.
Quand Raoul protesta que nous n’y étions pour rien, le Président rétorqua que, tout de même, plus d’une centaine de religieux de tous horizons étaient déjà passés de vie à trépas en voulant poursuivre nos expériences. Mon ami déclara qu’ils auraient dû se préoccuper davantage des conditions scientifiques de décorporation plutôt que de faire uniquement confiance à leur foi. Lucinder accepta l’argument mais nous le sentîmes préoccupé.
Se pouvait-il qu’en plein XXIe siècle il redoute le pouvoir des ecclésiastiques ?
Dans notre thanatodrome des Buttes-Chaumont, nous œuvrions pour notre part à rendre les décollages toujours plus sûrs. Stefania avait constaté que l’envol se passait mieux quand elle tenait sa colonne vertébrale bien droite, le dos calé, le menton plaqué sur la poitrine et les épaules dégagées. Nous conçûmes en conséquence un trône copie conforme des sièges suédois imposant cette position ergonomique.
Nous installâmes autour du fauteuil une bulle de verre l’isolant des bruits du monde extérieur. En effet, nombre d’accidents étaient survenus parce que quelqu’un avait dérangé par inadvertance un thanatonaute en plein envol. Le cordon d’argent du pilote surpris s’était brisé avant qu’il ait pu le rétracter. Un coup de téléphone intempestif, une porte claquée par un simple courant d’air, et c’était parfois le décès assuré ! On ne badine pas avec ces choses-là.
Pour favoriser davantage encore l’essor, nous mîmes en place un système de sonorisation polyphonique de haute qualité pour que l’âme s’envole agréablement au son de musiques liturgiques ou sacrées.
Un grand couturier et un savant électronicien collaborèrent à l’élaboration d’un costume vraiment confortable.
Dorénavant, l’uniforme du thanatonaute ne serait plus un survêtement ou un smoking. Il ressemblerait à une tenue d’homme-grenouille. À Paris, nous choisîmes un textile blanc.
L’idée eut beaucoup de succès. La mode vestimentaire fit son entrée dans les divers thanatodromes de la planète. Les Nippons optèrent pour le noir, les Américains le violet, les Britanniques le rouge. Les photographes de presse étaient enchantés : enfin, ils disposaient d’un visuel fort.
Il était logique qu’au costume succède l’écusson. Le nôtre représenta un phénix traversant des cercles de flammes allant en se rétrécissant.
À chaque thanatodrome, ses spécificités religieuses et culturelles. Les Africains partaient en costume de cérémonie parmi les battements des tam-tams. Ils avaient pour écusson des éléphants, des guépards et des perroquets. Les Jamaïcains préféraient le reggae et la marijuana. Les Russes appréciaient les chants orthodoxes et la vodka. Les Péruviens mâchaient des feuilles de coca et s’envolaient sous le charme des flûtes de Pan. Ils avaient pour blason le masque mortuaire du Grand Inca.
Les champions internationaux faisaient la une des journaux. Chacun avait son favori. Les paris se donnaient libre cours chez les bookmakers londoniens. Qui serait le premier à traverser le deuxième mur comatique ? L’Espagnol (écusson à tête de taureau) était donné à douze contre un face à l’Américain (écusson à tête d’aigle). Les témoignages sur les bulles-souvenirs s’accumulaient, tous différents, tous passionnants. Les ventes du Petit Thanatonaute illustré grimpèrent en flèche.
Dans leur boutique, ma mère et mon frère commercialisèrent des trônes d’envol made in Buttes-Chaumont et des boosters (j’avais mis au point une formule placebo très bien tolérée par le foie et les reins) ainsi que des combinaisons avec capteurs électriques. L’argent rentrait à flots.
La thanatonautique ne faisait pas que se répandre dans le monde, elle devenait aussi plus confortable, plus pratique, plus précise. Grace au fauteuil à bulle de verre protectrice et au costume, l’au-delà semblait à la portée de tout un chacun.

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