Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 13 – ON NE VEILLE JAMAIS ASSEZ À SES ENTRAILLES

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samedi 24 janvier 2015

13 – ON NE VEILLE JAMAIS ASSEZ À SES ENTRAILLES

Un mercredi après-midi où, assis sur un banc, nous considérions en silence les nuages s’effilochant au-dessus du cimetière, Raoul sortit un épais cahier de son cartable. L’ouvrant, il me montra une page qu’il avait dû découper dans un livre consacré à la mythologie antique avant de la coller.
Il y avait une image représentant une barque égyptienne ainsi que différents personnages.
 

Légende : La scène la plus importante du livre des morts est la traversée du monde souterrain par la barque solaire qui doit passer les douze portes peuplées de génies monstrueux prêts à la dévorer. Cette vignette figure sur le cercueil du prêtre car le voyage du défunt s'identifie à celui du soleil et, comme Amon Rê, Iouf-en-Khonsou doit affronter les périls du monde des ténèbres. La scène représente, au centre, la barque du soleil où sont installées les déesses Nephtys, Isis et Mâât qui guident la barque et comptent aider le dieu soleil présenté ici sous la forme de Râ : Horakti. A l'arrière, l'oeil Oudjat et la déesse vautour Nekbeth, emblème de la monarchie pharaonique, jouent un rôle protecteur. Ces personnages doivent lutter contre le serpent Apophis force du mal qui a pour but de détruire durant son voyage nocturne. Grâce à la vigilance des déesses et des autres dieux, Apophis est tué, le soleil sort vainqueur et apparaît à l'horizon, c'est la renaissance. Le défunt lui aussi renaît puisqu'il effectue le même itinéraire que le soleil. 

Il commenta :
- Au centre de la nef se tient , le dieu solaire. Un défunt est agenouillé devant lui. De part et d’autre, se tiennent deux autres divinités : Isis et Nephtys. De sa main gauche, Isis indique une direction et, dans sa droite, elle brandit une croix ansée, symbole de l’éternité qui attend le voyageur de l’au-delà.


- Les Égyptiens croyaient en un au-delà ?


- Bien sûr. Là, à l’extrémité gauche de l’image, on reconnaît Anubis, avec sa tête de chacal. C’est lui le guide qui accompagnera le défunt, celui qui tient dans sa main une urne contenant son estomac et ses intestins.

Je retins un haut-le-cœur.
Raoul adopta un ton professoral :

- « Tout mort doit veiller à ce qu’on ne lui vole point ses entrailles », dit un proverbe de l’Egypte antique.

Il tourna la page, passant à d’autres images.

- Là, le mort grimpe à son tour dans la barque. Soit il est accueilli par en personne, soit par un porc. Le porc dévore les âmes des damnés qu’il conduit dans l’enfer des malédictions où règnent des bourreaux cruels qui leur feront subir mille supplices au moyen de leurs doigts crochus terminés par de longs ongles en pointe.


- Quelle horreur !

Raoul me conseilla de me montrer moins hâtif dans mes jugements.
- Si c’est lui-même qui consent à accueillir le mort, tout ira mieux. Le défunt s’installera debout aux côtés des dieux, et la barque commencera à glisser, halée le long du rivage par une longue corde qui est en fait un boa vivant.


- Super !

Raoul leva les yeux au ciel. Avec mes enthousiasmes et mes écœurements alternés, je commençais à l’exaspérer. Il continua pourtant. Après tout, j’étais son seul public.

- Ce boa est un gentil serpent qui éloigne les ennemis de la lumière. Il fait de son mieux mais il y a un autre reptile, méchant celui-là, Apophis, l’incarnation de Seth, le dieu du mal. Lui tourne autour de la barque pour la faire chavirer. Parfois il sort de l’eau et crache du feu. Il fait tournoyer le bateau et bondit hors des flots dans l’espoir de gober l’âme épouvantée du défunt. Si celui-ci tient bon, la nef de la mort poursuit son chemin et glisse le long du fleuve souterrain qui traverse les douze mondes inférieurs. Il y a beaucoup d’écueils à éviter. Il faut passer les portes de l’Enfer, contourner les monstres aquatiques, se protéger des démons volants. Mais si le mort réussit toutes ses épreuves, il…

À ma grande consternation, Raoul s’interrompit.

- On continuera la semaine prochaine. Il est déjà sept heures, ma mère va s’inquiéter.

Ma frustration l’amusa

- Chaque chose en son temps. Ne sois pas impatient.

La nuit suivante, pour la première fois je rêvai que je m’envolais, transperçant les nuages. J’étais comme un oiseau. Non, j’étais un oiseau. Et je volais, je volais… Et puis soudain, au détour d’un cumulus, j’aperçus une femme vêtue de blanc. Elle était assise sur un nuage et elle était très belle. Son corps était jeune et élancé. Je m’approchai et constatai qu’elle tenait un masque à la main. Je m’approchai encore et là, j’eus un sursaut de terreur. 



Le masque n’était que squelette, crâne de mort, avec des orbites vides, une bouche sans lèvres au rictus figé. Je me réveillai en sueur. D’un bond, je me précipitai vers la salle de bains, passai la tête sous le robinet d’eau fraîche pour me laver de ce cauchemar.
Le lendemain, au petit déjeuner, j’interrogeai ma mère :

- Maman, tu crois qu’on peut voler comme des oiseaux ?

Mon accident m’aurait-il un peu dérangé ? Elle me lança un coup d’œil bizarre.

- Cesse de dire des sottises et avale tes céréales.



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