Un mercredi
après-midi où, assis sur un banc, nous considérions en silence les
nuages s’effilochant au-dessus du cimetière, Raoul sortit un épais
cahier de son cartable. L’ouvrant, il me montra une page qu’il
avait dû découper dans un livre consacré à la mythologie antique
avant de la coller.
Il y avait une image
représentant une barque égyptienne ainsi que différents
personnages.
Légende : La scène la plus importante du livre des morts est
la traversée du monde souterrain par la barque solaire
qui doit passer les douze portes peuplées de
génies monstrueux prêts à la
dévorer. Cette vignette figure sur le cercueil du
prêtre car le voyage du défunt s'identifie
à celui du soleil et, comme Amon Rê,
Iouf-en-Khonsou doit affronter les périls du monde des
ténèbres. La scène représente, au
centre, la barque du soleil où sont installées
les déesses Nephtys, Isis et Mâât qui
guident la barque et comptent aider le dieu soleil
présenté ici sous la forme de Râ :
Horakti. A l'arrière, l'oeil Oudjat et la
déesse vautour Nekbeth, emblème de la monarchie
pharaonique, jouent un rôle protecteur. Ces personnages
doivent lutter contre le serpent Apophis force du mal qui a
pour but de détruire Râ durant son voyage
nocturne. Grâce à la vigilance des
déesses et des autres dieux, Apophis est tué, le
soleil sort vainqueur et apparaît à l'horizon,
c'est la renaissance. Le défunt lui aussi renaît
puisqu'il effectue le même itinéraire que le
soleil.
Il commenta :
- Au
centre de la nef se tient Râ,
le dieu solaire. Un défunt est agenouillé devant lui. De part et
d’autre, se tiennent deux autres divinités : Isis
et Nephtys. De
sa main gauche, Isis indique une direction et, dans sa droite, elle
brandit une croix
ansée, symbole de l’éternité qui attend le voyageur de
l’au-delà.
- Les Égyptiens croyaient en un au-delà ?
- Bien sûr. Là, à l’extrémité gauche de l’image, on reconnaît Anubis, avec sa tête de chacal. C’est lui le guide qui accompagnera le défunt, celui qui tient dans sa main une urne contenant son estomac et ses intestins.
Je retins un
haut-le-cœur.
Raoul adopta un ton
professoral :
- « Tout mort doit veiller à ce qu’on ne lui vole point ses entrailles », dit un proverbe de l’Egypte antique.
Il tourna la page,
passant à d’autres images.
- Là, le mort grimpe à son tour dans la barque. Soit il est accueilli par Râ en personne, soit par un porc. Le porc dévore les âmes des damnés qu’il conduit dans l’enfer des malédictions où règnent des bourreaux cruels qui leur feront subir mille supplices au moyen de leurs doigts crochus terminés par de longs ongles en pointe.
- Quelle horreur !
Raoul me conseilla
de me montrer moins hâtif dans mes jugements.
- Si c’est Râ
lui-même qui consent à accueillir le mort, tout ira mieux. Le
défunt s’installera debout aux côtés des dieux, et la barque
commencera à glisser, halée le long du rivage par une longue corde
qui est en fait un boa vivant.
- Super !
Raoul leva les yeux
au ciel. Avec mes enthousiasmes et mes écœurements alternés, je
commençais à l’exaspérer. Il continua pourtant. Après tout,
j’étais son seul public.
- Ce boa est un gentil serpent qui éloigne les ennemis de la lumière. Il fait de son mieux mais il y a un autre reptile, méchant celui-là, Apophis, l’incarnation de Seth, le dieu du mal. Lui tourne autour de la barque pour la faire chavirer. Parfois il sort de l’eau et crache du feu. Il fait tournoyer le bateau et bondit hors des flots dans l’espoir de gober l’âme épouvantée du défunt. Si celui-ci tient bon, la nef de la mort poursuit son chemin et glisse le long du fleuve souterrain qui traverse les douze mondes inférieurs. Il y a beaucoup d’écueils à éviter. Il faut passer les portes de l’Enfer, contourner les monstres aquatiques, se protéger des démons volants. Mais si le mort réussit toutes ses épreuves, il…
À ma grande consternation, Raoul s’interrompit.
- On continuera la semaine prochaine. Il est déjà sept heures, ma mère va s’inquiéter.
Ma frustration
l’amusa
- Chaque chose en son temps. Ne sois pas impatient.
La nuit suivante,
pour la première fois je rêvai que je m’envolais, transperçant
les nuages. J’étais comme un oiseau. Non, j’étais un oiseau. Et
je volais, je volais… Et puis soudain, au détour d’un cumulus,
j’aperçus une femme vêtue de blanc. Elle était assise sur un
nuage et elle était très belle. Son corps était jeune et élancé.
Je m’approchai et constatai qu’elle tenait un masque à la main.
Je m’approchai encore
et là, j’eus un sursaut de terreur.
Le masque n’était que
squelette, crâne de mort, avec des orbites vides, une bouche sans
lèvres au rictus figé. Je me réveillai en sueur. D’un bond, je
me précipitai vers la salle de bains, passai la tête sous le
robinet d’eau fraîche pour me laver de ce cauchemar.
Le lendemain, au
petit déjeuner, j’interrogeai ma mère :
- Maman, tu crois qu’on peut voler comme des oiseaux ?
Mon accident
m’aurait-il un peu dérangé ? Elle me lança un coup d’œil
bizarre.
- Cesse de dire des sottises et avale tes céréales.
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